La Preuve Déloyale en Justice

Conditions et Évolutions Jurisprudentielles

Le décret n° 2024-692 du 5 juillet 2024 apporte des précisions importantes sur les modalités et les conditions de la contre-visite médicale diligentée par l’employeur. Cette contre-visite peut être effectuée au domicile du salarié ou à un lieu communiqué par celui-ci, conformément à l’article L. 1226-1 du Code du travail, ou sur convocation au cabinet du médecin mandaté par l’employeur.

Communication des Informations par le Salarié

Désormais, le salarié doit informer l’employeur « dès le début de l’arrêt de travail » de son « lieu de repos s’il est différent de son domicile » ainsi que des horaires auxquels la contre-visite peut se dérouler. Cette obligation vise à faciliter l’organisation de la contre-visite médicale, en garantissant que le médecin pourra rencontrer le salarié dans des conditions appropriées et respectueuses de son état de santé.

Modalités de la Contre-Visite Médicale

Le décret précise également les modalités d’exécution de la contre-visite médicale par le médecin mandaté par l’employeur. Le médecin doit procéder à l’examen médical du salarié dans le respect des horaires communiqués par ce dernier. Cette visite peut se dérouler au domicile du salarié ou à l’endroit indiqué par le salarié, si celui-ci est différent de son domicile. Alternativement, la contre-visite peut avoir lieu au cabinet du médecin sur convocation.

Obligations du Médecin Mandaté

À l’issue de la contre-visite, le médecin doit rédiger un rapport détaillé sur l’état de santé du salarié et sa capacité à reprendre le travail. Ce rapport doit être communiqué à l’employeur ainsi qu’au salarié. Si le médecin conclut que l’arrêt de travail n’est pas ou plus justifié, l’employeur peut cesser le versement des indemnités complémentaires, conformément aux dispositions légales en vigueur.

Entrée en Vigueur

Ce décret est entré en vigueur le 7 juillet 2024, ce qui signifie que toutes les entreprises doivent désormais se conformer à ces nouvelles dispositions. La mise en œuvre de ce décret vise à renforcer la transparence et l’efficacité des contre-visites médicales, tout en garantissant le respect des droits des salariés.

Conséquences en Cas de Non-Respect

Le non-respect de ces nouvelles obligations par l’employeur ou le salarié peut entraîner des conséquences juridiques. Si le salarié ne communique pas son lieu de repos ou les horaires pour la contre-visite, il pourrait être considéré comme en faute et perdre le bénéfice des indemnités. De même, si l’employeur ne respecte pas les procédures établies par le décret, il pourrait être tenu responsable de toute conséquence négative pour le salarié.

Preuve Déloyale : Contexte et Jurisprudence

Une preuve déloyale est obtenue par le biais d’un stratagème ou d’un piège, à l’insu de la partie adverse, par exemple : capture d’écran d’une messagerie, filature de détective, traceur GPS, mouchard informatique, enregistrement téléphonique sans consentement, ou extrait d’un système de vidéosurveillance illicite. En principe, elle est irrecevable en application du principe de loyauté dans l’administration de la preuve.

Évolution Jurisprudentielle

Depuis un arrêt de l’assemblée plénière de la Cour de cassation de 2011, la jurisprudence écartait systématiquement des débats les preuves obtenues à l’insu des intéressés ou au moyen d’un stratagème. Cependant, la Cour européenne des droits de l’Homme considère qu’une preuve, même illicite, est recevable dès lors qu’elle n’est pas la seule preuve et que d’autres éléments viennent la corroborer. Les juges doivent prendre en compte toutes les circonstances de la cause, notamment si les droits de la défense ont été respectés et quelle est la qualité des éléments en question.

Changement de Cap de la Cour de Cassation

Depuis quelques années, la Cour de cassation a amorcé un revirement, admettant que, dans un procès civil, le droit à la preuve peut justifier la production d’éléments portant atteinte à d’autres droits sous conditions strictes. En 2020, la Cour a jugé que l’illicéité d’un moyen de preuve n’entraîne pas nécessairement son rejet, le juge devant apprécier si l’utilisation de cette preuve porte atteinte au caractère équitable de la procédure dans son ensemble.

Cas Marquants

En mars 2023, dans un contentieux relatif à une discrimination salariale, la Cour de cassation a admis la production par une salariée de bulletins de paie d’autres salariés. La communication de ces éléments, portant atteinte à la vie privée de ces salariés, était jugée indispensable et proportionnée au but poursuivi : la défense de l’égalité de traitement.

En septembre 2023, la Cour a jugé licite une preuve recueillie au moyen d’un client mystère, dès lors que l’employeur avait préalablement informé le salarié de l’existence de ce dispositif d’investigation.

En décembre 2023, la Cour a statué que la production en justice de documents couverts par le secret médical ne peut être justifiée que lorsqu’elle est indispensable et proportionnée au but poursuivi.

Revirement de Jurisprudence de l’Assemblée Plénière

Le 22 décembre 2023, l’assemblée plénière de la Cour de cassation a aligné sa position sur le droit européen, autorisant l’utilisation de preuves obtenues de manière déloyale sous certaines conditions strictes. Dans cette affaire, l’employeur avait utilisé un enregistrement sonore d’un entretien, effectué à l’insu du salarié, pour prouver une faute grave.

La Cour a posé le principe selon lequel le juge doit apprécier si une preuve illicite ou déloyale porte atteinte au caractère équitable de la procédure, en équilibrant le droit à la preuve et les droits antinomiques. Le droit à la preuve peut justifier la production d’éléments portant atteinte à d’autres droits, à condition que cette production soit indispensable et proportionnée.

Cas Récents en 2024

Depuis le début de 2024, la Cour de cassation a appliqué cette nouvelle jurisprudence à plusieurs reprises. En janvier 2024, un enregistrement clandestin d’un entretien avec des membres du CHSCT, produit par un salarié pour prouver un harcèlement moral, a été jugé irrecevable car disproportionné au but poursuivi. En mai 2024, la Cour a censuré un arrêt de cour d’appel ayant écarté un enregistrement téléphonique clandestin, rappelant que le juge doit vérifier si la preuve n’était pas indispensable et si l’atteinte au respect de la vie personnelle n’était pas strictement proportionnée au but poursuivi.

Conclusion

La preuve déloyale est désormais recevable en justice sous deux conditions cumulatives : elle doit être indispensable et l’atteinte au respect de la vie privée doit être proportionnée au but poursuivi. Ce cadre strict vise à concilier le droit à la preuve avec le respect des droits fondamentaux, garantissant ainsi une procédure équitable et équilibrée.

Références

  • D. n° 2024-692, 5 juillet 2024 : JO 6 juillet 2024, texte n° 27
  • Arrêt de l’assemblée plénière de la Cour de cassation du 22 décembre 2023
  • Arrêt de la Cour de cassation du 17 janvier 2024
  • Arrêt de la Cour de cassation du 2 mai 2024